• Du 24 mai 2019 au 31 décembre 2021
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Axe Thématique : SHS et représentation(s) du monde


Ce projet a reçu un financement de l'appel à projets « séminaires interdisciplinaires » en 2019.

LES ARTS DU CONSENSUS DANS LE CONCERT DES NATIONS. PENSER LES FORMES D’INSTAURATION DE LA CONCORDE À L’ÉPOQUE MODERNE (XVIE-XVIIIE SIÈCLES).


Etat de l’art


Les commémorations historiques récentes des grandes fractures qui ont affecté l’histoire des XVIe-XVIIIe siècles ont conduit à envisager, à partir des événements fondateurs de la Réforme (1517) ou de la Guerre de Trente Ans (1618-1648), la période moderne comme un moment douloureux de la construction de notre modernité. Les divisions religieuses, les conflits entre nations et empires ont trop souvent conduit à laisser en retrait l’exploration de formes de conciliation et d’instauration de la concorde. Le rôle des arts dans les politiques de négociation   de la paix, met actuellement en évidence, par exemple, le rôle des femmes dans des politiques culturelles au service de la diplomatie et de la résolution  des  conflits (en Suède, en Espagne, en Angleterre et aux Pays Bas, par exemple). La circulation du savoir au plan intellectuel a favorisé, par ailleurs, la reconnaissance d’une République des Lettres comme élément de tension mais aussi de cohésion dans les travaux consacrés à la constitution de réseaux savants. Enfin, le brassage intellectuel, sociologique et intellectuel induit par la nécessité des peregrinationes academicae, qu’il s’agisse des étudiants qui vont se former dans les grandes universités européennes (italiennes, française, anglaises, espagnoles, allemandes), ou des hommes de lettres en quête de protecteurs et d’emplois rémunérés, a joué  un rôle majeur dans les rapprochements politiques et diplomatiques entre les nations. Ce mouvement, héritage médiéval, prend un véritable essor à partir de la Renaissance.

Or, la création d’une communauté intellectuelle (de penseurs, savants, poètes, artistes, diplomates et hommes de cour) liés par un même désir de partage du savoir – non exempt, cependant, de rivalités et de polémiques – nous invite ici à réfléchir aux conditions qui ont rendu possible la mise en place d’une conception collaborative du savoir au point de concevoir celui-ci comme un instrument de pacification voire de tolérance. Dès lors, l’originalité du projet présente  une  double caractéristique : confessionnelle, d’une part, scientifique, de l’autre, qui vient enrichir la thématique d’une transversalité des réseaux savants à l’époque moderne. La place des échanges scientifiques est à considérer dans ce cadre, comme élément d’originalité de la démarche, au sens d’un esprit scientifique pré- moderne, profondément interdisciplinaire et construit sur un croisement des connaissances (religieuses, philosophiques, naturalistes, touchant aussi à la cosmologie, à l’astronomie et à la médecine) mais aussi des mythes que se réapproprient aussi les humanistes, les savants, philologues, historiographes ou poètes. Des champs nouveaux liés à la formation de réseaux savants invitent à penser la concorde à partir de pratiques de partage du savoir et à réfléchir ainsi  aux fondements intellectuels de la communauté et de la nation.

La problématique est définie à partir de la corrélation des trois éléments du projet
: pensées, acteurs et symboles. Elle suppose de travailler sur les conditions du passage du dissensus au consensus dans la continuité des travaux  antérieurs  menés  sur  le  scandale,  thématique  riche  qui  nous  a  permis  à  la  fois  de
comprendre la nature des coupures idéologiques radicales au sein d’une entité qui reconnaît partager les mêmes valeurs, mais aussi de mettre en évidence les stratégies inventées pour réparer l’atteinte portée à la cohésion.

Hypothèses et enjeux

Le projet propose donc de reconsidérer les frontières politiques et religieuses en montrant, par le biais de l’étude interdisciplinaire, l’importance de collaborations inter-confessionnelles qui  ont conduit à l’instauration de communautés scientifiques et intellectuelles. Il invite à travailler sur des solidarités scientifiques comme élément du « concert des nations » à l’époque moderne et d’une instauration de la concorde, en explorant à l’origine de ces rencontres le passage  du dissensus au consensus, la synergie et la convergence de traditions et d’héritages.
Le thème central du projet repose, ainsi, sur l’analyse des formes de l’instauration de la concorde et de sa mise en pratique à l’époque moderne afin d’envisager,  dans une démarche de croisement interdisciplinaire, une convergence entre pensées, actions et symboles.
À partir de la notion de consensus, comment penser les multiples approches du dépassement de la division, dans un contexte propice où la restauration de la concorde inspire des courants de pensée fortement  affirmés  de  la Renaissance aux Lumières ?
Le projet envisage de considérer le passage du dissensus et de la division à la création d’un consensus, appuyé sur un savoir partagé, à la faveur d’entreprises   de collaboration scientifique, esthétique et intellectuelle. Dans cette perspective,  les échanges inter-confessionnels retiendront particulièrement notre intérêt. Ils offrent une perspective renouvelée sur ce qu’on appelle alors la République des Lettres – expression qui manifeste le  sentiment d’appartenance à une communauté transcendant les divisions chez les intellectuels européens. Ils impriment par ailleurs de leur marque l’histoire des savoirs, notamment scientifiques, sur l’époque concernée. La thématique invite ainsi à réfléchir aux fondements intellectuels, littéraires, savants et scientifiques des communautés politiques entre le XVIe et le XVIIIe siècles. Elle favorise l’exploration de nouveaux outils et concepts confortés par l’apport de l’interdisciplinarité. En somme, dans quelle mesure le partage des savoirs permet-il de définir de nouvelles modalités  de consensus? Quelles sont, d’une part, les implications politiques du choix de certains genres ou de certaines formes d’expression, en termes de création de communauté(s) ? D’autre part, de quelle manière les savoirs de la nature, par exemple, réunissant philologues, philosophes et artistes peuvent-ils offrir un  champ d’étude propice pour penser la convergence entre union des savoirs et dépassement des conflits entre nations ?
L’exploration de nouveaux champs encore peu intégrés jusqu’ici à la thématique
de la concorde, en renforçant l’étude des coopérations scientifiques, conduira à l’exploitation de corpus d’archives, concernant notamment les savoirs de la nature ainsi que la dimension confessionnelle et religieuse de ces échanges intellectuels. La méthodologie nécessite un traitement dans le croisement des méthodes disciplinaires, à partir de l’examen de leur confrontation et de leur complémentarité. Elle fait ainsi ressortir l’originalité du sujet en proposant de renouveler les études historiques sur l’établissement de la concorde.

Les hypothèses explorées se rattachent aux travaux exploratoires précédemment menés sur la discorde, la querelle et la controverse adossées à l’analyse des contextes d’émergence du scandale, aux formes de son irruption, aux actions politiques et aux démarches de création ; sa réflexion dans le fonctionnement des institutions (les mécanismes de la censure inquisitoriale à l’époque moderne).


Traduit de l'anglais par Pierre Carboni (CRINI - Université de Nantes)